LES RUSSULES COMESTIBLES

 

 

Cette gazette de Jean a été écrite avec les connaissances de la mycologie de l’époque. Quoique peu nombreuses quelques Russules douces sont toxiques.   

                                           

            Avec un peu d’expérience, reconnaître qu’un champignon est une russule est facile. Toutes les russules ont un air de famille, elles se ressemblent. Mais quand il s’agit de mettre un nom dessus et s’il ne s’agit pas d’une espèce fréquente et bien connue, les choses se compliquent car déterminer une russule rare n’est pas aisé. C’est que les russules sont nombreuses (environ 350 espèces en France) et que ces champignons, dont la couleur du chapeau est généralement vive, se parent des teintes et des nuances les plus variées et les plus subtiles. Toute la gamme de la palette du peintre le plus coloriste y passe. En plus il est fréquent que le même champignon mélange plusieurs couleurs sur son chapeau ou qu’il change de couleur avec l’âge ou les fantaisies du ciel, la pluie en particulier.

 

            Cette complexité et cette variabilité de la couleur du chapeau font toute la difficulté de  l’étude des russules. Comme dit Roger HEIM, qui fut un brillant mycologue de la précédente génération, « la détermination d’une russule est fréquemment un problème de perspicacité ». Il faut d’abord étudier avec soin ses caractéristiques botaniques  En la matière la saveur de la chair, douce ou non et la couleur de la sporée qui est d ‘ailleurs généralement celle des lames mûres, sont deux caractères discriminants. Il faut souvent avoir recours au microscope et, en particulier, étudier l’ornementation des spores, s’aider aussi des réactifs dits macrochimiques (sulfate de fer, teinture de gaïac, sulfovaniline, phénol, ammoniaque, etc…) qui, au contact de la chair, peuvent donner des réactions colorées diverses. Ainsi, au terme d’une enquête policière, avec beaucoup de patience et un peu de chance on a la satisfaction d’aboutir à une brillante détermination … ou à rien ! C’est là tout le charme de la mycologie.

            Mais encore une fois, je m’égare loin du titre de notre causerie. Revenons donc aux russules comestibles, plus exactement à celles qui méritent les honneurs de la table. La comestibilité des russules peut être résumée par les trois aphorismes suivants :

 

1) Vous ne serez jamais gravement intoxiqués par des russules. Tout au plus elles vous gratifieront d’ennuis gastro-intestinaux plus ou moins désagréables. Encore faudra-t-il que vous ne soyez pas difficiles car les russules toxiques sont habituellement immangeables.

2) Les russules douces sont toutes comestibles.(*)  (Les russules amères, âcres, poivrées, brûlantes, écœurantes, etc…), bref toutes les russules qui ne sont pas immuablement douces sont à rejeter. Il suffit donc de mâchonner un fragment de champignon cru pour être informé de la comestibilité de l’exemplaire. 

3) Il n’y a pas chez les russules de comestible de premier choix. Elles sont dans l’ensemble  assez insipides, mais leur chair ferme et craquante a une consistance agréable. Le mieux est de les mélanger à d’autres espèces dont le goût est plus affirmé.

 

            Ceci dit, dans la foule multicolore des russules, il n’y a  en guère que trois qui sont de bons comestibles : RUSSULA VIRESCENS (Russule verdoyante ou Palomet), RUSSULA CYANOXANTHA (Russule bleu et jaune, plus connue sous le nom de Russule charbonnière) et  RUSSULA VESCA (Russule comestible). Deux autres passent pour être des comestibles agréables mais je ne vous en parlerai pas car l’une RUSSULA MUSTELINA (Russule belette) pousse presque exclusivement sous les conifères en montagne et l’autre RUSSULA HETEROPHYLLA (Russule hétérophylle ou Russule à lames différentes) a un chapeau qui ressemble tellement par sa couleur à celui de la terrible amanite phalloïde que je ne vous incite pas à la récolter (bien que les russules, toujours dépourvues de volve et d’anneau sur le pied, aient une allure bien différente de celle des amanites). Toutes ces russules appartiennent à la section des HETEROPHYLLAE caractérisée par l’aspect robuste, la chair douce et la sporée blanche.

 

RUSSULA VIRESCENS  pousse sous les feuillus, en terrain plutôt acide, dans les endroits aérés : clairières, sentiers, en lisières, souvent dans l’herbe et plutôt en été (ce qui est le cas de beaucoup de russules). Elle est assez commune.

 

Généralement on la reconnaît sans peine à l’aspect de son chapeau dont la cuticule est craquelée et fissurée en petites plaques de couleur verte (vert amande, vert de gris, vert jaunâtre) plus sombre que le fond qui apparaît entre les plaques. H. MESPLEDE, un excellent Mycologue de terrain qui m’a beaucoup appris, disait qu’elle semble avoir été « sulfatée à la bouillie bordelaise ». Ce caractère, habituellement bien net, peut devenir fort peu évident sur certaines formes blanches du champignon car il n’existe plus alors que de rares plaquettes minuscules qu’il faut rechercher avec soin. Ajoutons que le pied est blanc comme les lames et que la chair est ferme, presque dure chez les jeunes exemplaires. Au contact du sulfate de fer elle se colore en rose-orangé.

 

            Les risques de confusion sont minimes. On peut à la rigueur confondre  Russula virescens avec d’autres russules vertes, comme Russula heterophylla, Russula cutefracta ou Russula aeruginosa, au demeurant comestibles.

 

            Russula virescens est considérée comme la meilleures des russules. On peut la manger crue, en salade, comme l’oronge ou le champignon de couche.

 

            RUSSULA CYANOXANTHA est plus difficile à identifier pour un chercheur inexpérimenté car, comme toute russule qui se respecte, elle mélange et varie les couleurs de son chapeau  avec le temps. Au début elle montre une teinte violet pourpre dominante, mais plus ou moins panachée de violet sombre, lilas, gris pâle, ocracé ou verdâtre. Cette teinte violet pourpre s’estompe avec l’âge et se  mélange peu à peu à un coloris vert qui, dans la vieillesse, tend à envahir toute la surface. Cette polychromie ne facilite pas la détermination de la russule charbonnière. Heureusement elle nous nous offre au niveau de ses lames le moyen de la reconnaître sans ambiguïté : au rebours de toutes les autres russules dont les lames se brisent et sautent quand on passe le doigt dessus celle de Russula cyanoxantha se couchent sans se casser et donnent l’impression d’un contact gras, le doigt glissant comme sur du lard. Les lames sont dites élastiques et lardacées et ce caractère tout à fait déterminant vous donnera l’identité de la charbonnière même lorsqu’elle prend des aspects trompeurs. Ajoutons que le pied et les lames sont blancs et que la chair ne réagit pas au contact du sulfate de fer. Elle pousse sous les feuillus et les conifères, sur sols variés, dès le mois de juin. C’est une espèce commune et populaire en raison de sa comestibilité et de sa fréquence. Avec elle aussi les risques de confusion sont sans conséquence grave.

 

            RUSSULA VESCA se reconnaît à trois caractères. D’abord la couleur assez spéciale du chapeau : de rose vineux à brun vineux plus ou moins foncé, que l’on a comparé à celle du jambon, du vieux bois de rose, le chapeau pouvant être unicolore ou panaché de crème, d’ocracé , d’olivâtre. Ensuite par le fait que fréquemment  la cuticule du chapeau adulte ne vient pas tout à fait au bord de la marge, laissant ainsi voir un  fin liseré blanc de la chair sous-cuticulaire et l’extrémité des lames. On dit de cette russule « qu’elle montre les dents » ou est « habillée trop court. Enfin, au contact du sulfate de fer, sa chair se colore vivement et rapidement en rose-orangé vif ».

 

Chez elle aussi lames et pied sont blancs. Les lames sont souvent ponctuées de petites taches brun-rouillé épaisses et la base du pied est souvent amincie et un peu pointue.

 

Il existe des formes pâles ou même blanches de Russula vesca dont la détermination est difficile. La réaction vive au sulfate de fer de la chair est alors d’un bon secours.

 

Russula vesca pousse sous les feuillus, plus rarement sous les conifères. Elle est précoce et apparaît dès le mois de mai. C’est une des russules les plus communes. Pour elle aussi, il faudrait beaucoup d’inconscience pour la confondre avec un champignon dangereux.

 

Pour nous résumer, on peut dire que vous reconnaîtrez :

- Russula  virescens  au revêtement vert et craquelé de son chapeau.

- Russula cyanoxantha à ses lames souples et lardacées.

- Russula vesca à sa couleur brun-rosé.

 

Nous voilà arrivés au terme de notre causerie peut-être un peu longue, sur les russules comestibles que nous avons volontairement réduite au nombre de trois. Bien sûr, il y a bien d’autres russules consommables : toutes celles dont la chair est douce, comme je vous l’ai dit (*) . Mais, sortie de notre trio, ce ne sont que « fort maigre chair » comme on disait jadis.  Par contre, la palomet, la charbonnière et la russule comestible pourrait avantageusement compléter les maigres récoltes des jours où cèpes, girolles et autres vedettes gastronomiques se font rares.

-                                                                                                        Jean PRADY

 

 (*) La règle qui disait que toutes les russules à chair douce étaient comestibles n’est plus exacte. Quoique peu nombreuses quelques Russules douces sont toxiques. L’erreur dans le texte s’explique par le fait qu’il a été rédigé il y a fort longtemps, alors qu’on ignorait la toxicité de ces Russules, comme la Russula olivacea, saveur douce mais toxique (intoxications signalées en Italie) Ref : Marcel Bon, nouvelle édition.  Russula vinosobrunnea  saveur douce mais toxique.

Et d’autres à saveur douce mais indigestes.